Aller Simple Regards Croisées
Deux regards contemporains l’un de l’autre.
Deux pièces portant sur le même sujet.
Proches et éloignées à la fois, les pièces de Jean-François Boclé et Mehdi Melhaoui, par leur rencontre, s’écartent, s’ouvrent, et offrent à la vision la possibilité d’un décentrement.
L’aller simple ou le retour impossible semblent représenter ce qui crée le drame de la situation de celui qui quitte son pays, exilé, ou émigré qui ne revient pas pour autant, non qu’il n’en ait le désir, mais aux vues des poids qu’impliquent les projections et attentes de ceux qu’il a quitté, de ceux qui eux, sont restés, et nourrissent cette illusion entretenue d’un eldorado ailleurs. Ainsi certains émigrés sont dans une situation ambigüe, vivants en exil, mais n’ayant pour autant pas été bannis. Ce départrisqué, ce point d’origine d’un nouveau sentiment duquel s’emplit celui d’une perte irréversible est à la base d’une désorientation et de ce décentrement dont nous tentons ici une approche, bien que distanciée et n’ayant aucunement la prétention d’être représentative du sentiment de l’exil. Cette forme d’approche se veut simplement une tentative de rendre hommage à ceux que l’Histoire a oubliés, ceux qui nous préparent au monde de demain, et qui sont par là « les aventuriers d’une expérience urbaine en formation ». Oubliés de l’Histoire, ils en sont les véritables auteurs, derrière les grands noms que nos manuscrits en conserveront.
Cet hommage est né d’une rencontre, celle du travail de deux artistes, qui proposent une approche critique de la partie émergée du regard sur l’Histoire et une écriture de certains fragments manquants. Jean-François Boclé et Mehdi Melhaoui nous permettent d’assister au façonnage qu’ils entament d’une nouvelle forme d’Histoire, faite à partir de fragments de vies brisées, qui, mis en fiction par leurs ouvrages, rendent accessible à tout un chacun l’émotion provoquée par le récit qui nous est retiré, volé pourrait on dire, un récit du monde, auquel nous n’avons pas accès au travers des représentations médiatiques qui croient prétendre encore nous faire assimiler leur lisibilité de ce dernier. Par là, leur démarche est politique, révélant une notion du monde biaisée, et contant les drames que ce regard illusoire peut sous tendre. L’exil, situation prévue légalement pour nier la dignité, pour priver des individus de leur identité, est posé comme tel.
Jean-François Boclé et Mehdi Melhaoui se sont tous deux penchés sur le moment même du départ, plus précisément sur ce moment de fragilité, tant physique que psychologique, entre le départ du pays natal, et celui de la tentative périlleuse d’atteindre un nouveau point du monde. Pris dans une vision mortifère, cet instant important, puisqu’il est celui d’un passage à l’action, au delà des rêves ou désirs, est donc celui d’un besoin, si l’on considère les risques qu’une certaine invisibilité comporte aujourd’hui. C’est le danger même de cette traversée que ces deux artistes ont choisi de mettre en avant.
Comment tant d’individus peuvent ils être amenés à prendre le risque de la mort elle-même, afin d’aboutir au changement de cette situation insuportable qui les pousse à partir, et comment peut-on encore accepter cela? Quantité de questions sont ici ébranlées, induisant ainsi le caractère indispensable de réveiller ce sujet, et l’efficacité de prendre le chemin de l’émotion pour en rendre compte, pour les interroger plus directement.
Jean-François Boclé et Mehdi Melhaoui se sont basés sur le même angle de vision, la mise en relation de Zones d’attente et du Patteriste, deux pièces avec tant de similarités, bien que réalisées par deux personnes différentes, peut conférer quelque chose de l’ordre de ce décentrement que l’on retrouve chez chaque personne émigrée ou exilée. La rencontre de ces deux regards nous ouvre un point de vue tissé dans l’entre deux et par là, nous invite à une forme de traversée, de cheminement dans l’espace qui se situe à la jonction des deux propositions.